Les enjeux de la qualité des téléinformations
Cet article présente les enjeux de la qualité des téléinformations, ainsi que les méthodes mises en œuvre pour satisfaire ces enjeux. En fin d’article, un bilan global de la démarche sera dressé….
Les téléinformations : qu’est-ce que c’est ?
Elles permettent de transmettre à distance
- des états d’appareils très haute tension (sectionneurs, disjoncteurs) ou de matériels (protections, automates),
- des commandes pour les dits appareils,
- des grandeurs (mesures de puissances, tension, températures, hauteurs d’eau, pluviométrie…mais aussi comptage) et d’envoyer des consignes (réglages de groupe, valeurs de consigne etc.).
Une vision détaillée des téléinformations, de leur constituant, de leurs regroupements au sein de tranches est donnée par la « brochure violette ».
Quels sont les enjeux des téléinformations?
Les téléinformations apportent la vision de l’état du système électrique aux personnels des centres de conduite et de surveillance. Elles leur permettent ainsi d’élaborer les stratégies d’exploitation, puis d’agir dans les meilleurs délais pour répondre à trois des enjeux majeurs d’un Gestionnaire de Réseau de Transport :
- Garantir la sûreté de fonctionnement d’un système électrique,
- Favoriser la performance économique globale du système électrique,
- Satisfaire les engagements contractuels des clients.
Même si les finalités d’un gestionnaire d’un réseau de transport (GRT) sont restées globalement les mêmes depuis le début du vingtième siècle, la modification de la répartition entre actions locales et actions à distances d’une part et la recherche constante de plus d’optimisation d’autre part ont poussé à une réduction des temps de réaction. Ce phénomène a impliqué un fort accroissement du volume des téléinformations et une augmentation de leur qualité. Aujourd’hui, les défaillances du système de téléinformation peuvent avoir des conséquences sur la qualité de l’onde électrique (exemple : tenue de la tension), sur les temps de reprise de service (difficultés à diagnostiquer, retard dans les manœuvres de reprise de service). Elles pourraient même jouer un rôle majeur dans l’aggravation de la gravité d’incidents, jusqu’à la survenance d’incidents de grande ampleur (non prise en compte de surcharges de lignes électriques, d’effondrement de tension, impossibilité de mettre en œuvre les parades étudiées…). On voit donc l’importance de disposer, via les téléinformations, d’un état du réseau le plus à jour possible et fiable et d’une capacité à commander en permanence. A minima, il faut être informé de la non-transmission des évènements ou de leur invalidité, afin de pouvoir mettre en œuvre des stratégies d’exploitation différentes voire des dispositions de gardiennage alternative.
Un peu d’histoire…
Comme nous l’avons vu précédemment les besoins vis-à-vis des téléinformations ont varié au cours du temps. En schématisant, on peut distinguer plusieurs grandes périodes :
- La première moitié du XX° siècle, Les sociétés d’électricité étendent leurs réseaux et commencent à s’interconnecter. Ceci amène une série de tâches nouvelles : « le réglage de la tension, la répartition de la charge sur les centrales, le réglage du facteur de puissance…. qui ne peuvent être réalisées de façon satisfaisante que lorsque l’on dispose de moyens sûrs de communication entre les différentes parties du réseau » (Eugène Meyer – CIGRE – 1923). Le besoin en téléinformations est alors limité en nombre et principalement orienté vers l’optimisation de la gestion de la production.
- L’après-guerre, verra la suppression progressive du gardiennage de postes et de centrales avec la centralisation d’informations au niveau d’entités de regroupements (Groupements de postes, Postes de conduite hydraulique,…). Dans la même période, la nécessité d’une vision plus systémique des réseaux se renforce .Les remontées d’informations se développent donc, mais l’exploitation au niveau des dispatchings est encore très orientée sur les contacts téléphoniques et sur la consignation, dans les documents ad hoc, des informations en provenance du réseau.
- Les années 70-80, verront apparaitre, avec l’arrivée des centrales électronucléaires et le développement corrélatif du réseau à 400 kV, la nécessité, au niveau des dispatchings d’une vision plus fine et plus fiable du réseau de grand transport. C’est dans cette période qu’est produit le Schéma Directeur de l’Aménagement du Réseau de Transport (SDART). Les systèmes informatiques font leur apparition au niveau des dispatchings : il apparait dès lors la nécessité de construire une « normalisation » des téléinformations pour qu’elles soient comprises et transmises d’une façon cohérente depuis les équipements des PA, jusqu’aux groupements de poste et aux dispatchings. La formulation de cette démarche trouvera son support au travers de la brochure violette.
- Durant les années 80-90, la volonté de généraliser la télécommande au niveau des dispatchings pour augmenter la réactivité sur incident et réduire les délais de reprise de service se traduira au niveau des téléinformations à la fois par un saut dans les exigences en volume et en qualité. Pour faire face à ces nouveaux enjeux, et préparer l’arrivée des CRC, de nombreuses actions de fond ont été lancées : La réfection des fileries des postes pour normaliser les télésignalisations et éliminer un certain nombre de « glutes » locales, le renforcement de la qualité des liaisons de télécommunication, la fin du remplacement des télécommandes et des ERC par les nouvelles TCD…
- Au-delà des années 90, La croissance des exigences des clients poussée à la fois par une plus grande sensibilité de leurs process et par la judiciarisation de la Société d’une part et une certaine volatilité de la répartition des flux d’électricité due à l’ouverture du marché de l’électricité d’autre part renforceront encore le besoin en nombre et en qualité des téléinformations
Quelles exigences pour les téléinformations ?
Formuler des exigences c’est trouver le meilleur compromis entre les enjeux, les possibilités technologiques (transmission, calculateur, logiciel), humaines (niveau et localisation des compétences) et économiques. Cette formulation est rendue plus complexe par le fait que la nécessité de connaitre une téléinformation peut varier énormément en fonction de la disponibilité des téléinformations voisines et des situations d’exploitation du système (période stable, forte monte de charge, incidents de plus ou moins grande ampleur). Les exigences se sont donc construites progressivement. Deux grandes familles d’exigences se sont fait jour :
- Celles concernant la disponibilité des systèmes informatiques globaux ;
- Systèmes des dispatchings – Sysdic, SNC, ASN pour le national, – SIRC, SRC, ATSR pour le régional.
- Systèmes des groupements de postes, EDT et PEXI
- Partie haute du réseau de transmission (TTR puis ARTERE)
Les équipements concernés constituent des modes communs importants et, à ce titre, sont précisément spécifiés lors de la conception des systèmes puis suivis de façon fine (doublement, basculement, commutation…). Les paramètres suivis sont la disponibilité globale, celle sur incident ainsi que les durées de toutes les pannes importantes (délais d’intervention et de réparation)
- Celles se focalisant sur un niveau plus individuel, au niveau d’un site ou de téléinformations élémentaires. C’est cette dernière catégorie que nous allons détailler ci-dessous.
Caractérisation des exigences pour les téléinformations
A partir de 1973, le SDART a intégré dans sa construction des exigences dont la pertinence est encore d’actualité aujourd’hui (Datation des télésignalisations à 10 ms, délais de péremption des TS, renouvellement des TS…).
La formalisation des exigences a donné lieu à une note « les moyens d’actions et les téléinformations nécessaires pour la conduite du système Production – Transport – Consommation » plus connue par les spécialiste sous le nom de « note saumon » dont la couverture cartonnée initiale était de couleur … saumon. Cette note a évolué progressivement en fonction de l’évolution des besoins, des stratégies des fonctions de calculs de réseaux et des retours d’expérience.
La note saumon de 1996 définit
- D’une part les téléinformations nécessaires en fonction des équipements haute tension ou des régulations impliqués. (régulation de tension, régulation fréquence puissance, ligne, transformateur, production thermique, production hydraulique, différentielle de barres….)
- D’autre part la qualité attendue des téléinformations
- au niveau site (inaccessibilité site)
- au niveau élémentaire grâce à des critères individuels de performance qui caractérisent chaque moyen d’action et chaque téléinformation.
De façon globale, les principaux critères individuels concernent :
- La disponibilité, les ordres ou informations doivent arriver aux destinataires dans les délais impartis.
- L’exactitude, le signal (ou la valeur) délivré aux destinataires doit être l’image de l’information souhaitée.
- Les performances (temps d’acheminement, périodicité du renouvellement)
La note saumon définit pour les inaccessibilités (niveau site) et les indisponibilités (niveau individuel), les seuils à respecter. Ces seuils sont fonction
- de l’importance des éléments surveillés pour la sûreté de fonctionnement du Système Electrique. Ils sont répartis en trois catégories : 1 – primordial, 2 – important, 3 – autres.
- De la nature des téléinformations
- Télémesures
- Télésignalisations
- Télécommandes
Suivi du respect des exigences
Les exigences n’ont de réalité opérationnelle que si elles sont mesurables à un coût raisonnable et si elles sont effectivement suivies. Une organisation a donc été spécifiée et mise en place pour la remontée des informations. La note d’organisation précise, en fonction de la nature des informations à remonter, le référentiel commun, les méthodes de traitements et de calculs ainsi que les périodicités des remontées, les destinataires et responsables etc…
Une consolidation des informations recueillies est effectuée chaque année. Au-delà d’une simple concaténation, le bilan effectué propose une analyse transverse des chiffres et des faits en prenant plusieurs éclairages :
- par palier technique (ex SDART, ARTERE…)
- par équipements
- par régions
Cependant une vision statistique de la qualité et son analyse, si elles donnent une approche macroscopique de la qualité, ne peuvent suffire à éclairer les décideurs pour effectuer un pilotage intelligent du domaine. Les incidents les plus graves (ou potentiellement les plus graves) nommés ESS font donc aussi l’objet d’examens approfondis (individuels suite à leur survenance et global dans le bilan annuel
Enfin, un bilan des actions décidées pour l’année passée est effectué.
Puis en fonction des analyses de toutes les composantes du bilan et des évolutions en cours ou prévues, un plan d’action pour l’année à venir est proposé.
Quel bilan ?
Depuis de nombreuses années, la qualité mesurée a répondu aux attentes exprimées, et ce, bien que les dites attentes se soient renforcées progressivement.
Cette apparente stabilité n’est en fait que la résultante d’une maîtrise permanente de dysfonctionnements qui ne manquent pas de survenir à l’occasion de l’évolution permanente du système de téléconduite au niveau des besoins, protocoles de transmission, supports de transmission, systèmes informatiques et organisations…
La satisfaction des objectifs qualité, dont on voit qu’elle nécessite un engagement permanent, ne saurait être une fin en soi. L’optimisation globale des coûts dans le respect des objectifs qualité est un challenge bien plus difficile, pour lequel, on peut constater des progrès, mais pour lequel il est plus difficile de se positionner en valeur absolue
Force est donc de constater que la qualité des téléinformations, comme beaucoup d’autres sujet, est le résultat d’un travail permanent et en profondeur nécessitant compétences et organisation.
Quels enseignements pouvons-nous tirer ?
Nous avons la chance de pouvoir observer une activité qui s’est étendue sur un demi-siècle et dont les objectifs majeurs sont tenus. Il m’a donc semblé intéressant de voir si un certain nombre de points pouvait présenter un caractère de généralités et être susceptibles d’enrichir des réflexions pour des affaires à venir, étant bien entendu que, comme l’avait dit Héraclite cinq siècles avant JC, « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ».
Ces enseignements ayant obligatoirement un caractère plus subjectif que la présentation précédente, ils font l’objet d’un document à part accessible par le lien suivant : Mes noces de rubis avec la téléconduite.